Race humaine - la bibliographie critique n'est pas faite pour les chiens

Publié par Hamelin de Guettelet le samedi 15 juin 2013

Exemple de racisme ordinaire - Tintin au Congo (1931) © Hergé
Après Dieu et celui du fils de Dieu, c'est le tour des créatures de Dieu. Pour être précis, dans la Wikipédia francophone, après l'article Dieu et l'article Jésus, c'est l'article sur la Race humaine qui pose débat (460 000 octets) au point que certains ont cru bon de bloquer l'article jusqu'au 27 juin. Il est dommage d'en arriver à ces extrémités, mais quand des apprentis sorciers se mêlent de traiter de sujets complexes sans en avoir les compétences, ce résultat est quasi obligatoire alors même que les scientifiques débattent du sujet avec tout autant de passion.

Si la notion des races humaines fait débat, un débat récent commencé au XIXe siècle et ostracisé au XXe, c'est qu'elle a été instrumentalisée sur des fondements pseudo-scientifiques confondants biologie et anthropométrie, biologie et culture, biologie et société, biologie et politique et qui a donné comme idéologie, le racisme, une supposée théorie de hiérarchisation des races. Cette théorie a connu deux utilisations politiques aujourd'hui rejetées, le racisme colonial et l'eugénisme nazi :
  • le racisme colonial est une justification postérieure de la colonisation, le temps de la conquête de l'or, de l'argent et des terres a précédé le temps de la conquête des colonies et des esprits. Cette colonisation a trouvé une justification deux siècles plus tard avec la notion des races inférieures. « Il fallait bien que la race supérieure, que le bon et généreux blanc, civilise tous ces sauvages incultes. » (Il faut prendre la précaution de mettre cette phrase ainsi rédigée entre guillemets.)
  • l'eugénisme nazi visait cette fois les juifs, les tziganes, les slaves et les « dégénérés », homosexuels, malades mentaux, handicapés ou asociaux. Des théories présentées comme scientifiques ont élevé au niveau supérieur la race aryenne, il fallait alors exterminer les uns et multiplier les autres avec la création injustifiable des camps d'extermination, les vernichtungslager, et des camps de reproduction, les lebensborn.
Il faut bien admettre que ces deux taches sur la conscience humaine ont vicié toute la perception ultérieure de la notion de races. Alors les institutions ont pris le relai et tel un autre Nuremberg, l'Unesco, toute nouvelle agence de l'ONU, doit laver l'insulte de l'eugénisme. En fait le débat sur l'eugénisme, le racisme et les races humaines est clos depuis le 20 juillet 1950 avec le rapport sur la question des races. Comme d'ailleurs le débat sur le racisme colonial voulait se clore le 27 novembre 1978 avec la déclaration sur la race et les préjugés raciaux mais il n'y avait plus la force et le souffle des experts scientifiques de 1950.

Revenons à la déclaration d'experts sur les questions de race de 1950.

Huit experts, Ashley Montagu, anthropologue (États-Unis) rapporteur, Ernest Beaglehole, ethnologue (Nouvelle-Zélande), Juan Comas, anthropologue (Mexique), L.A. Costa Pinto, sociologue (Brésil), Franklin Frazier, sociologue (États-Unis), Morris Ginsberg, sociologue (Royaume-Uni), Humayun Kabir, philosophe (Inde) et Claude Lévi-Strauss, anthropologue et ethnologue (France), il faut noter l'absence de biologiste, réunis sous l'égide de L'Unesco, « déclarent sur les questions de race » :
  1. « Les savants s'accordent en général à reconnaître que l'humanité est une et que tous les hommes appartiennent à la même espèce, Homo sapiens. [...] »
  2. « Du point de vue biologique, l'espèce Homo sapiens se compose d'un certain nombre de groupes, qui diffèrent les uns des autres par la fréquence d'un ou plusieurs gènes particuliers. [...] »
  3. « Une race, biologiquement parlant, peut donc se définir comme un groupe parmi ceux qui constituent l'espèce Homo sapiens. [...] »
  4. « En résumé, le mot "race" désigne un groupe ou une population caractérisé par certains concentrations, relatives quand à la fréquence et à la distribution, de gènes ou de caractères physiques qui, au cours des temps, apparaissent, varient et souvent même disparaissent sous l'influence de facteurs d'isolement géographiques ou culturels. [...] »
  5. « Tels sont les faits scientifiques. Malheureusement, dans la plupart des cas, le terme "race" n'est employé dans le sens ci-dessus. Beaucoup de gens appellent "race" tout groupe humain arbitrairement désigné comme tel. [...] »
Suivent neuf autres paragraphes qui détaillent différents points cités dans les cinq premiers, entre autre, qu'« il convient de distinguer entre la "race", fait biologique, et le "mythe de la race" [...]. Ce mythe a fait un mal immense sur le plan social et moral [...] On ne saurait se prévaloir de différences biologiques entre groupes ethniques pour pratiquer l'ostracisme ou pour prendre des mesures collectives. » (14). Ce rapport se termine par une sorte de conclusion qui règle le sort au "racisme" et non aux "races" comme son titre pourrait le laisser entendre. Le rapport « expose de façon formelle ce qui a été scientifiquement établi sur la question des différences entre individus et entre groupes » (15) :
  1. « Les anthropologues ne peuvent établir de peuvent établir de classification raciale que sur des caractères purement physiques et physiologiques. »
  2. « Dans l'état actuel de nos connaissances (ndr : 1950), le bien-fondé de la thèse selon laquelle les groupes humains différent les uns des autres par des traits psychologiques innés, qu'il s'agisse de l'intelligence ou du tempérament, n'a pas encore été prouvé. [...] »
  3. « Les études historiques et sociologiques corroborent l'opinion selon laquelle les différences sociales et culturelles existant entre différents groupes d'Homo sapiens et les changements sociaux ou culturels au sein des différents groupes ont été, dans l'ensemble, indépendants des modifications dans leur constitution héréditaire. [...] »
  4. « Rien ne prouve que le métissage, par lui-même, produise de mauvais résultats sur le plan biologique. Sur le plan social, les résultats, bons ou mauvais, auxquels il aboutit, sont dus à des facteurs d'ordre social. »
  5. « [...] Les différences biologiques qui existent entre les membres des divers groupes ethniques n'affectent aucunement l'organisation politique ou sociale, la vie morale ou les rapports sociaux. »
Je me permettrais juste une remarque, quelle idée de faire suivre en (4) le terme « gènes » de « ou de caractères physiques », c'est la seule assertion qui sera ultérieurement démentie, mais cette notion avait cours à cette époque parmi les anthropologues et les ethnologues. La confusion entre "race" et "mythe de la race" ou "racisme", voilà une des raison qui pollue tout article ou tout débat sur les races humaines, confondre une réalité biologique qui veut que l'espèce humaine soit composée de "groupe" que plus personne n'ose appeler "race" de peur d'entre-ouvrir la porte au racisme. Hors la notion de race et celle de racisme sont deux notions différentes. Le racisme n'est pas de distinguer des races ou groupes humains mais de croire et de répandre qu'il y a, hormis des différences biologiques, des différences de valeur, qu'il y a des races ou des groupes humains supérieurs à d'autres, là est la plaie du racisme.

Et depuis 1950, quoi de neuf ?

Pas grand chose, aujourd'hui, les racistes sont toujours des racistes, peu importe la couleur de leur peau, ils considèrent qu'ils représentent toujours la race supérieure. Des faux culs de racistes se cachent derrière la civilisation dont, à leurs yeux, certaines, à commencer par la leur, seraient supérieures aux autres. D'autres, encore plus pervers, récupèrent et détournent certaines avancés biologiques comme le traçage ADN de l’Ève mitochondrial pour réactiver le "mythe de la race" rendant inacceptable le mot même de race. Déjà la déclaration de 1950 n'osait pas utiliser le mot race, elle parlait de groupe humain.

Nous somme là en présence d'une discussion philosophique, l’existence des races induit-elle, par le simple fait de leur reconnaissance, le racisme ? Je ne répondrai pas ici à cette interrogation, mais un chapitre doit être présent dans l'article avec de bonnes sources s'il en est. Il ne faut pas se fermer les yeux, cette interrogation philosophique partage en deux notre société comme il doit partager en deux l'article entre ces deux PoV - point de vue.

Il y a ceux qui répondent non, la réalité de l'existence des races ne doit pas impliquer le racisme, la différence raciale n'induit pas la supériorité des uns sur l'infériorité des autres.
Il y a ceux qui répondent oui, le racisme est inhérent à l'existence des races, au point que certains, de bonne ou de mauvaise foi, quitte à détourner les sources, nient les races, pour combattre le racisme et cela jusque dans un enseignement en biologie, tel un document de l'académie de Grenoble, document qui a été copyviolé dans l'article de Wikipédia, qui détourne allègrement la déclaration de l'Unesco, pas très brillant pour un document universitaire, mais après tout même les profs en biologie ont le droit d'être de parti pris.

Justement la biologie, qu'Albert Jacquard le veuille ou non, a mis en évidence des groupes biologiques humains si l'on ne veut pas dire races. S'il est un argument fallacieux, c'est bien celui de dire que tous les êtres humains ayant 99,8 % de leur patrimoine génétique en commun, il n'est pas possible de trouver des différences raciales dans les 0,2 %. Pourtant la démonstration est faites, les humains partages 98,6 % de leur patrimoine génétique avec les chimpanzés, ces 1,4 % sont pourtant capables de faire toute la différence et encore ce n'est même pas ces 1,4 % qui font la différence, c'est quelques dizaine de gènes sur un total de 20 ou 22 000 gènes, et c'est encore moins, quelques gènes seulement, qui font la différence entre les groupes biologiques humains ou races. Mais évidemment ces groupes biologiques humains ne sont pas les races physiologiques qui n'ont, elles, aucunes vérifications scientifiques comme l'arbre phylogénétique de Luigi Luca Cavalli-Sforza qui n'est qu'une construction intellectuelle discriminant les populations ou les groupes humains géographiques plutôt que les groupes humains biologiques ou races.

Alors pour cet article sur les races humaines, quelques sections suffisent. D'abord la question philosophique qui pose le cadre des deux PoV - point de vue - la race implique le racisme ou la race n'implique pas racisme, en deux sous-sections. Ensuite il faut donner les dernières avancées de la biologie qui apporte la seule réponse acceptable puisque la race est une sous-classe biologique de l'espèce, présentée là aussi en deux sous-sections pour chacun des PoV. L'article devrait aussi présenter les deux PoV philosophiques sur les races humaines présentés chaque fois sous l'angle de l'anthropologie et de l'ethnologie.

Par contre avant toutes ces sections et sous-sections, l'article devrait commencer, comme tous ces articles éminemment conflictuels, par une étude critique et historique de la bibliographie de référence. Cela pose toujours moins de problème d'exposer l'évolution des idées et des notions au travers d'une bibliographie historique critique, plutôt que de présenter, ici ou là, dans la plus grande pagaille, les théories sorties de ces sources bibliographiques.

Pour le reste l'article devrait être allégé des trois quarts de son contenu. Par exemple, quelle idée farfelue, quel anachronisme, de rédiger une histoire des races, de parler des races avant que la notion même de race existe. C'est bien là, un des graves défauts de Wikipédia, pour faire encyclopédique, il y a toujours des contributeurs pour rajouter et rajouter encore des notions mal maîtrisées et ou mal comprises. Il ne suffit pas d'avoir une source écrite ou numérique pour nécessairement en faire des phrases placées au petit bonheur la chance dans l'article. Pire encore, le travail de mitage des PoV-pushers qui consiste à contrebalancer chaque assertion adverse par une assertion contraire à défaut de pouvoir la faire disparaître. Cet article Race humaine est un exemple typique de ces trois pratiques qui le rendent illisibles.

Ainsi va mal Wikipédia quand des ignorants se prennent pour des savants sachant.


Ma bibliographie : Ousmane Bakary Bâ, Critique des théories de l'évolution, de races et de racisme - Histoire des idées sur l'évolution - Statut controversé des peuples, PUQ - Presse Université Québec (2011). Une source inintéressante parmi d'autre, « la sélection naturelle de Charles Darwin est sans contredit la théorie scientifique la plus marquante de l’histoire des sciences de la vie. Elle a radicalement renversé les idées jusque-là admises sur l’origine de la vie et son évolution. Toutefois, le principe de la survivance du plus apte, de la victoire du fort sur le faible, a conduit à l’émergence des enjeux de classes et de races. »