Homo sapiens versus Nabilla Benattia

Publié par Hamelin de Guettelet le mardi 30 avril 2013

© Hervé Pinel/Marianne
J'avais déjà remarqué que je ne rédigeais pas de la même façon à la plume qu'au clavier. Hormis les fautes de frappe, à l'évidence inhérentes au clavier, le style, le vocabulaire et l'orthographe étaient fortement modifiés sans que j'en fasse la relation avec l'outil. C'est la lecture d'un article du magazine Marianne qui m’apporte une réponse, quand j'y lis que nombreux seraient « les écrivains qui soulignent aujourd'hui les différences - subtiles mais bien réelles - entre textes "écrits" et ceux "pensés à la machine" ». Cet article, par la même occasion, vient de me faire ressortir de ma bibliothèque un achat resté sans suite qui m'apporte aussi beaucoup à penser : Internet rend-il bête ? Réapprendre à lire et à penser dans un monde fragmenté de Nicholas Carr, chez Robert Laffont.

Une partie substantielle de l'expérience humaine aurait été façonné par les moyens de communication que l'homme se crée ; le livre, en instituant une nouvelle façon de communiquer, aurait modelé notre façon de raisonner comme l'écriture l'avait déjà précédemment fait. Le livre, en organisant le raisonnement en une succession de chapitres, favorisa une progression de l'argumentation, créant un schéma de pensée linéaire. Aujourd'hui le Web multiforme, éparpille la pensée comme il éparpille le savoir, les connaissances.

Nous vagabondons de page en page, les liens nous emmènent ici ou là, nous zappons systématiquement. Pendant le temps de notre présence sur le Web, l'extérieur intervient souvent, interrompant notre lecture qui est plus souvent en diagonal que linéaire. Cela n'est pas sans conséquence car « en échange des richesses du Net, nous renonçons à notre bon vieux processus de pensée linéaire, » déclare Nicholas Carr. Notre cerveau éminemment plastique s'adapte facilement à de nouvelles contraintes, transformant profondément ses modes de fonctionnement. Le travail aussi de notre mémoire se transforme, le transfert chaotique et rapide, des informations picorées sur internet, de la mémoire de travail à la mémoire à long terme est complètement opposé au processus lié à la lecture linéaire, un transfert lent et ordonné, alimentant en informations plus efficacement la mémoire à long terme, transfert essentiel pour toute réflexion structurée.

Double influence, de l'informatique qui modifie, non pas de façon matérielle, mais de façon conceptuelle notre rédaction, et du Web, qui modifie de façon profonde notre mémoire, notre pensée, notre raisonnement. Sommes-nous à l'aube de l'Homo numericus comme le pense Michel Serres ? Nicholas Carr a l'air de le penser, faisant même preuve d’un certain fatalisme technologique comme Serres, estimant qu’Internet est la seule technologie médiatique d’avenir, toutes les autres n’étant, pour lui, que des culs-de-sac de l’évolution. Nous devrions réapprendre à lire et à penser dans un monde fragmenté.

En attendant que les 100 milliards de neurones, aux connexions encore mystérieuses, se reconnectent en un cerveau numericus, il ne faut pas nous faire plus bêtes que nous ne le sommes déjà. Tout ne vaut pas tout, tout n'est pas dans tout. Si je suis un fervent inclusionniste, je ne suis pas encore un inclusionniste qui ne saurait pas ou plus réfléchir, pas ou plus raisonner. Pour moi l'histoire, toute l'histoire, même la petite histoire, a sa place dans Wikipédia, mais mon cerveau n'est pas encore reconfiguré pour penser que l'actualité, l'histoire de demain selon certains, a sa place dans Wikipédia (cf. mon message du 17 janvier 2013), ni que la futilité « pipôlière » soit admise à l'encyclopédie. Le respect de nos PF - principes fondateurs - demande des sources de qualité, et je n'en suis pas encore à considérer que des articles de presse, écrite, blogueste, radiophonique ou télévisuelle, soient des sources de qualité.

Je n'avais jusqu'à maintenant donné aucun avis sur la fièvre suppressionniste des préfets même si je trouvais toutes ces PàS - page à supprimer - abusives mais aujourd'hui je réagis aux réactions suite à la suppression de l'article Nabilla Benattia. Ce n'est évidemment pas les quinze minutes de succès à la mode Andy Warhol qui peuvent justifier d'un article, aucune source de qualité = aucun article. Écrire cet article, c'est déjà une marque d'acculturation et le garder aurait été une marque supplémentaire d'abêtissement. Ce ne peut évidemment pas être une phrase imbécile « non mais allo quoi ! » qui pourrait justifier d'un article.

C'est encore moins les réactions « pipôlières » d'une certaine presse ou de certains blogs qui vont modifier les choses. Ils serait étonnant que les actions de Wikipédia suscitent des réactions qui dévaloriseraient ses propres actions. L'article de Nabilla est supprimé pour absence de source mais cette suppression suscite elle-même de nouvelles sources. Mais à tout prendre, si ces articles devaient servir cela serait pour sourcer les procédures de Wikipédia plutôt que les aventures de Nabilla. Heureusement que Wikipédia ne s'est pas montrée aussi bête que cette bimbo. Notre cerveau n'est pas encore reprogrammé numericus pour qu'il puisse considérer tout cela comme encyclopédique, notre sage cerveau de sapiens n'y voit que des « pipôleries » qui disparaîtront aussi vite qu'elles sont apparues.

Ainsi va bien Wikipédia.